« Segments », forme semi-improvisée pour clarinette, clarinette basse, saxophone ténor et électronique (environ 25 min) s’est imposée comme la suite évidente d’Anop Speia [the pop side of cold grains].
Au fil de longues conversations avec le saxophoniste et clarinettiste rémois Jean Baptiste Berger, Nicolas Canot et Valentin Couineau est apparu le désir commun de confronter le dispositif scénique particulier d’Anoph Speia (écoute combinée/spatialisée par enceintes et casques audio, travail sur l’écoute intracrânienne et la relation à la pression acoustique) au jeu, à l’improvisation, au temps réel.
La volonté également de pousser plus loin la recherche sur ce travail en ajoutant aux illusions auditives de ce dispositif, une dimension supplémentaire par l’utilisation de l’encodage et de la diffusion spécifique en binaural (travail sur l’élévation des sources sonores, sur l’écoute arrière etc).
« Segments » reprend et étend ainsi la forme scénique d’Anoph Speia : 12 à 18 spectateurs sont assis et équipés d’un casque d’écoute stéréo. L’instrumentiste est placé face à eux, dans une grande proximité d’écoute. Le timbre de l’instrument, à peine altéré par le port du casque, crée une relation acoustique pure avec le son que les traitements électroniques et de spatialisation accentuent encore; la chaleur naturelle de l’ébène confrontée à la minéralité du traitement granulaire, la durée longue au micro-son.
Les formes improvisées par la clarinette (selon trois sections principales explorant les nombreux registres classiques de jeu et modes sonores plus contemporains idiosyncratiques de cet instrument : travail sur le souffle, sons raclés, bruits mécaniques) sont tout d’abord traitées en temps réel (synthèse granulaire, filtres spectraux, jeu de battement microtonal par bouclage) et à des sonorités issues de pré-enregistrements (piano, billes, générateurs d’impulsions en pluie etc) avant d’être mises en mouvement dans des espaces semi fictifs par la superposition des sources sonores (enceintes : écoute spatiale réelle; casques : écoute spatiale fictive). La couleur mélodique (modale) de “Segments” est, elle, donnée par la réecriture et la combinaison de trois grands thèmes de la tradition hard bop et free fazz que sont Goodbye Pork Pie Hat (Charles Mingus), Freedom jazz Dance (Eddie Harris) et Lonely Woman (Ornette Coleman).
Sur un plan technologique, “Segments” a également nécessité le développement d’un patch Max/MSP dédié à la spatialisation des sources, patch au sein duquel s’insére le plugin de traitement sonore en binaural H3D de la société Longcat Audio.
Les auditeurs sont alors conviés à s’abandonner à un simple plaisir d’écoute ou le trouble naît de la confusion des sources et des espaces, plaisir du timbre pur d’un instrument, d’un matériau sonore brut et des méandres de l’improvisation.
Jean-Baptiste Berger : clarinettes, saxophone
Nicolas Canot : électro
nique, développement
Valentin Couineau : spatialisation